| LOCARNO 2017 | CUBA |

Le triomphe de la débrouillardise sur l’obsession du contrôle

— par Michaël Tuil, rédacteur de ©PuntoLatino sur «Armaggedon 2» de Corey Hugues. Locarno août 2017.

 

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Internet malgré la dictature
Armageddon 2 montre la lutte des Cubains pour accéder à internet. Cela nous amène bien sûr à nous demander comment est la situation d’internet sur l’île. Depuis 2015, le gouvernement cubain permet l’accès à internet à travers le WiFi de la compagnie de télécom de Cuba ETECSA. Une soixantaine de points WiFi sont repartis dans les parcs et lieux publics de la Havane. Les Cubains peuvent acheter une carte verte à gratter, semblable à un ticket de loterie et qui donne deux chaînes de chiffres horriblement longues. Mais ce n’est pas le seul problème: cette carte coûte en général un quart du revenu hebdomadaire d’un Cubain, l’internet est incroyablement lent, et le gouvernement restreint l’accès à une majorité de sites. Tout cela a donc amené les Cubains à chercher des solutions alternatives, comme le montre le film Armageddon 2.

 

El paquete semanal, ou toute une semaine d’internet dans un terabyte

Dans le film, nous voyons des hackers avec un collier de clefs usb. Nous voyons des disques durs externes qui chargent, clignotent, chauffent dans des chambres sombres. C’est le système du paquete semanal: des hackers téléchargent tout le contenu nouveau d’internet chaque semaine, remplissant des disques durs de un terabyte. Vidéos de chat, séries de Game of Thrones, matches de baseball, talk-shows, tout y passe. Les Cubains se rendent ensuite chez ces hackers avec leur ordinateur ou disque dur et téléchargent ces données, payant l’équivalent d’un dollar. Chaque hacker a un domaine de prédilection, par exemple un d’entre eux chargent toutes les vidéos de MOOC (Les initiales anglais de cours massif ouvert online, voir notre article sur les MOOC dans PuntoLatino), comme la Khan Academy ou Coursera. Les gens choisissent leur hacker en fonction du contenu qui les intéresse cette semaine.

Snet, un réseau intranet à l’échelle d’une ville
Le deuxième élément de ce système alternatif est le Snet, ou Street Net. C’est un réseau intranet mis en place par 25’000 petites bornes de relais de signal WiFi repartis dans toute la Havane et les zones périphériques. En se connectant à ce réseau et en entrant une adresse url conventionnelle, comme www.puntolatino.ch par exemple, rien ne se passera: le réseau n’est pas relié à internet, c’est un intranet géant. Sur cet intranet, les Cubains ont créé des clones des sites comme Facebook (appelé Sígueme à Cuba), Instagram, Twitter, Reddit. Avec des dizaines de milliers d’utilisateurs, ces sites offrent aux Cubains le plaisir et les avantages des réseaux sociaux, 100% cubain.

Toléré par le gouvernement?
Le gouvernement cubain est bien entendu au courant de ces systèmes alternatifs. Il est impossible qu’il ignore quelque chose de cette envergure. Cependant, tant que ces systèmes restent centrés et ne touchent pas les thèmes politiques, activistes ou religieux, le gouvernement les tolère. Les groupes responsables du système prennent garde à rester loin de ces sujets tabous. Et une politique du don’t-ask, don’t tel: il n’y a presque pas de communication du gouvernement à ce sujet, ni dans la presse locale, et très peu dans la presse internationale aussi d’ailleurs. D’où le rôle et l’importance du film Argameddon 2, qui a été primé comme mention spéciale au Festival du Film de Locarno pour son rôle précurseur à parler d’un sujet largement ignoré jusque-là.

Pour en savoir plus
Dans un très bon reportage paru en juillet 2017 dans le magasine Wired en espagnol et en anglais, Antonio García nous donne des pistes sur cet impressionnant système Do-It-Yourself mis en place par les Cubains pour accéder au contenu et aux avantages d’internet malgré les restrictions de la dictature. Le triomphe de la débrouillardise sur l’obsession du contrôle!

 

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Armageddon 2

Cuba · 2017 · DCP · Couleurs · 5′ · o.v. English

Section: Pardi di domani – Concorso internazionale
À Cuba, l’Internet est très lent. Les films, la télévision et les informations s’échangent au marché noir par un système de distribution des médias sur des disques durs externes appelés «el paquete semanal».

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