CINE – CARTELERA
Turistas de Alicia Scherson (Chile)
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FRANÇAIS
Mais peut-être qu’elle ne veut pas être là. Peut-être qu’elle préfèrerait faire de l’auto-stop avec un routard norvégien choisi au hasard qui la conduirait a un superbe parc naturel, où elle pourrait marcher entre les grands arbres et parler des oiseaux et des chansons oubliées de la pop avec le gardien du parc.
Oui, peut-être que ce serait mieux …
DEUTSCH
ALICIA SCHERSON was born in Santiago de Chile in 1974. After graduating as a biologist she studied filmmaking in the Escuela de Cine de Cuba, EICTV and then received a Master in Fine Arts from the University of Illinois at Chicago.
Her first feature film «PLAY» was shot in Chile and premiered in 2005 at the Tribeca Film Festival in New York, where it received the Best Director Award. It was acclaimed by the critics and received other 14 other international awards including Montreal Films du Mond, Karlovy Vary, La Habana and Indie Lisboa. PLAY has also been sold to theaters in Europe and Latin America.
Her second feature TURISTAS, premiered in Tiger Competition at the Rotterdam Film Festival 2009 and is currently touring festivals worldwide.
Alicia now lives in Chile where she works as a film teacher at Universidad de Chile and prepares a new movie, THE FUTURE, based on a novel by Roberto Bolaño.
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TURISTAS: GLISSEMENTS PROGRESSIFS DU DÉSIR
par Martial Knaebel
Débarquée par son mari alors que le couple partait pour des vacances, Carla atterrit dans un terrain de camping qui semble hors du monde et loin des bruits de la civilisation. D’abord perdue par ce lâchage aussi radical qu’inattendu, Carla semble comme se réveiller, petit à petit, d’un long sommeil d’une vie bourgeoise et tranquille, accompagnée en cela par un jeune homme mythomane et une vedette oubliée de la chanson. La vie est faite de moments tristes, mais aussi de situations comiques. Cette lapalissade pourrait être la définition de l’intrigue de Turistas, qui accompagne le cheminement d’une jeune femme à la rencontre d’elle-même et de la nature.
Nous sommes sur la route des vacances, dans un 4X4 luxueux remorquant un scooter des mers. Le jeune couple à l’intérieur, Carla et son mari, semble paisible à défaut d’être expansif. Mais cette eau dormante sera très vite ridée par une petite phrase anodine: il y a quelque chose qui s’est passé dans le couple, que le mari n’accepte pas. Enceinte, Carla a avorté sans le lui dire. La colère de l’un va laisser l’autre seule sur le bord de la route, indécise. Indécision, c’est peut-être le mot qui qualifie le mieux l’héroïne qui se montrera le plus souvent incapable de prendre une décision par elle-même.
Ainsi, partie pour retourner à Santiago, la capitale, elle se laisse convaincre par un jeune campeur suédois, Ulrik, de le suivre dans un parc naturel où ils camperont sous la même tente. Ce parc naturel et son gérant, un vieux chanteur à succès qui s’est réfugié ici, abandonnant tout, produiront un effet singulier sur la jeune femme et sur le film. Ce que nous pouvions croire être un drame psychologique au vu des premières séquences, change d’atmosphère, la nature s’impose à l’image et dans l’histoire. De l’aventure intérieure de Carla, nous passons à celle d’une citadine qui découvre la nature. Au milieu de la forêt, entourée par une foule de bêtes, les oiseaux et les insectes qui l’habitent, parmi les gens qui y vivent. Les couleurs changent aussi, imperceptiblement, le numérique fait place à la pellicule (la nature a été filmée en 16 mm). On pourrait même croire un instant que Carla n’est plus l’héroïne du film, mais que la forêt a pris sa place.
Le ton de l’histoire en est métamorphosé, restant en harmonie avec les couleurs, laissant s’installer une ambiance de discrète comédie, avec une galerie de personnages dont certains ajoutent une touche d’étrange au point qu’on pourrait se croire dans un monde hors du réel, alors que la nature est montrée d’une manière très naturaliste. Ainsi, ces deux cousines, comme des soeurs jumelles, d’une étrange beauté, un peu punk sur les bords, posant des questions existentielles totalement hors du contexte. Des questions qui jurent avec leur propre apparence, plus proches de ce que pourraient poser des personnages mythiques de l’antiquité que des jeunes femmes passant la serpillière dans les douches du camping. Cette ambiance hors du temps est pourtant limitée, menacée, par des bruits industriels: à la périphérie du parc, on construit une route. On ne fait qu’apercevoir le chantier, une seule fois, mais il est là qui pourrait menacer la quiétude du lieu.
Pourtant cette tranquillité pourrait bien n’être qu’une façade car, finalement, ces personnages que rencontre Carla, ne semblent pas si heureux que cela, cachant plus ou moins bien des plaies encore ouvertes à l’image d’Orlando Palma, l’ex-vedette pop, qui se sent d’une certaine manière coupable d’avoir abandonné femme et enfant. Il y a aussi Ulrik, le touriste nordique, sorte d’adolescent attardé qui se croit gay, tout en étant attiré par la belle Carla.
Au milieu de tout cela, on oublierait presque Joel, le mari, qui réapparaît tout à coup, sans crier gare. Mais rien ne se passera, ni de son côté, ni de celui de Carla, qui ne fait que lui demander s’il connaîtrait, par hasard, le tube des années 80 d’Orlando – chanson que tout le monde dit célèbre, mais dont personne ne se souvient. Joel repartira comme il est venu, sans que Carla en semble affectée outre mesure.
Turistas est un film impressionniste, peu loquace, où les dialogues suggèrent plutôt qu’ils n’expriment, laissant souvent les phrases en suspens, fuyant l’artifice. Les personnages, plus croqués que dessinés, se meuvent librement dans une nature qui serait bien le protagoniste principal aux côtés, ou en face, de Carla. La réalisatrice a voulu, et y a réussi, éviter toutes les afféteries propres à bien des films naturalistes où la nature est cadrée pour paraître la plus «naturelle» possible – exagérant, par exemple, son côté sauvage ou brut. Ce n’est pas le cas ici, nous avons affaire à des citadins qui reprennent contact avec leur environnement naturel, qui y trouvent quelque chose qu’ils n’ont pas dans le paysage urbain: un autre tempo, un autre rythme, d’autres sensations, bref, une autre façon de voir le monde qui les entourent et une place pour se ressourcer.
La première séquence fait alors antithèse à toute la suite du récit, avec son 4X4 et son jet-ski luxueux et polluants, objets artificiels qui n’ont rien à faire dans une forêt ou un lac. Avec aussi deux personnages, Carla et Joel, refermés sur eux-mêmes, presque insensibles au monde extérieur à la voiture. Cette antithèse souligne a contrario le besoin, la nécessité vitale, que pouvait avoir Carla de se retrouver dans ce parc naturel. Ce besoin laisse son mari totalement froid, comme le montre son comportement durant sa visite au parc, au point qu’on a le sentiment qu’il s’agit d’un couple où chacun est devenu étranger par rapport à l’autre. A moins qu’ils ne l’étaient déjà dans la voiture. On peut alors très bien imaginer que cet abandon sur le bord de la route serait plutôt une fuite de la part de Joel. Au bout du compte, la Carla indécise du début, ne le serait alors que face à la nature qu’elle redécouvre. Et ce film laisse en fait autant de liberté au spectateur d’interpréter ce qu’il voit selon sa propre expérience de vie. Ce qu’on aurait pu prendre comme une vision un peu naïve prend alors une nouvelle dimension où la réalisatrice assumant son statut de citadine et sa façon d’appréhender la nature nous laisse le choix d’y trouver ce que nous cherchons nous-mêmes.
(Bulletin TRIGON N°11)