| ZFF 2016 | México |
Déshabille-toi à moitié
— Sur «Plaza de la soledad» par Michäel Tuil, rédacteur de PuntoLatino
«Déjame calentarte mi amor» … chante Carmen tout en se déshabillant. «Déshabille-toi seulement à moitié, pour garder l’émotion, et l’argent affluera», confie-t-elle à sa compagne. Nous sommes dans une petite chambre, dans le quartier de la Merced, un des plus dangereux de Mexico City.
La photographe et réalisatrice Maya Goded y a suivi pendant plus de vingt ans Carmen, Esther, Lety, Ángeles, Lupe, Raquel, Maya et les autres. Ces femmes, toutes entre 50 et 80 ans, gagnent leur vie sur la Place de la Solitude, y cherchent l’amour, y trouvent des clients.
Le temps passée avec elles permet à la réalisatrice d’entrer dans l’intimité de ces héroïnes oubliées, courageuses, inconnues, admirables. Et de dévoiler au spectateur un microcosme impossible à pénétrer autrement.
Cette connexion que le spectateur ressent avec les femmes de la Place de la Solitude est extrêmement forte car la réalisatrice semble complétement invisible, laissant la place à ces héroïnes. Devant la camera, les femmes se parlent, se touchent, s’embrassent, comme si elle n’était pas là. Elle accostent des clients, leur parlent, les séduisent, partent avec eux. Parfois, les femmes parlent directement à la camera aussi, par exemple nue sur un lit. Une nudité toute naturelle, blanche, sans attrait, sans laideur. D’autres fois, on les surprend en train de faire un striptease langoureux, ou réfléchissant sur la solitude après l’acte et sur l’amour platonique qu’elles recherchent en vain.
«Plaza de la Soledad» est touchant, mais très dur. Ces héroïnes racontent, désarmantes de sincérité, leurs expériences traumatisantes: comment l’une fut violée, elle et sa soeur par le même homme, une après l’autre. Ou cette autre qui raconte comment le père de son enfant l’a frappée et violée, quelque jours après qu’elle ait donné naissance. Celle-ci, enceinte à 12 ans, qui voyait son ventre grossir et se demandait, candide, comment le bébé allait en sortir. Ou cette autre encore, violée à 8 ans et qui ensuite à dû quitter le village car, en perdant sa virginité elle avait perdu le respect du village: monde à l’envers, ou l’abusée devient criminelle dans le regard des gens, une coutume villageoise selon elle.
Beaucoup d’amour aussi entre ces femmes qui restent embrassées pendant de longues minutes, priant ensemble et se disant de mots doux. Se donnant mutuellement la tendresse que les hommes ne leur donnent pas. Laissant plusieurs fois les larmes monter aux yeux du spectateur. Beaucoup de ferveur en dieu, celui qui leur enlève leurs peurs et leurs angoisses.
Et beaucoup de chants, du début à la fin. À n’en pas douter, les Mexicains et Mexicaines aiment chanter, comme on l’a vu pendant ce festival (un clin d’oeil à Jaime, le Charro de Toluquilla, qui a surpris tout le monde pendant la discussion post-projection en se mettant à chanter sur la scène, voir l’article de PL sur ce film).
Un film émouvant en somme, tendre, dur. Qui nous confronte, sans rien dissimuler, avec une réalité qu’on ignore.
Pour PuntoLatino, Michaël Tuil
Direction: Maya Goded
Genre: DOC: Social & Human Interest
Longueur: 84 Min
Pays, Year: Mexique, 2016
Langue: espagnol
Sous-titres: anglais
Producteur: Martha Sosa, Eamon O’Farrill, Mónica Lozano
Caméra: Maya Goded
Schnitt: Valentina Leduc
Music: Jacobo Lieberman, Leonardo Heiblum
Sound: Miguel Hernández
Co-Producer: Carlos Hagerman
Production: Monstro Films