| LITERATURA | CINE |
D’amour, de femmes et d’impatience
Gabriel García Márquez et le cinéma
— par Jean-Pierre Gontard © Festival Filmar en Amérique latine | autorisation de l’auteur pour publication en PuntoLatino
Le colonel Nicolás Ricardo Márquez Mejía accompagne souvent son petit-fils qui n’a pas encore dix ans au cinéma d’Arataca. Gabriel García Márquez s’en souviendra longtemps.
Étudiant, il est profondément marqué par le cinéma néo-réaliste italien et tout spécialement par Le voleur de bicyclettes de Vittorio de Sica. Plus tard, journaliste reconnu, il écrit plus de 2000 articles dont une bonne partie sur le cinéma. Il tient une chronique hebdomadaire de critique cinématographique pendant 18 mois. Son patron, qui l’apprécie beaucoup, lui propose d’aller pour la première fois en Europe pour couvrir des évènements politiques et culturels. Il a seulement 28 ans. Il accepte avec la secrète ambition d’étudier le cinéma à Rome.
En juillet 1955, il passe sa première nuit en Europe dans un hôtel de Genève près de la Gare Cornavin. Pourquoi ? À vous de le deviner. Je pourrai vous aider.
À la fin de l’été, le voilà au 16ème Festival de Cinéma de Venise. « Una borrachera de ciné » écrit-il («une cuite de cinéma»). Il envoie en Colombie des papiers sur Gina Lollobrigida et sur Sofia Loren. Nous le retrouvons à Rome où il doit enquêter pour son journal sur la santé du Pape. En fait, il y suit des cours du Centre expérimental de cinématographie. Il en retire la conviction que l’important est de bien écrire le scénario («guión») et d’assurer un montage impeccable. Sa passion pour le 7ème art va-t-elle remplacer celle pour la littérature qui l’habite aussi depuis son adolescence?
Gabo hésite entre journalisme, littérature, histoire, cinéma, politique,… pourquoi choisir ? Il prend le tout.
À Paris, à Rome, à Barcelone, il écrit beaucoup et fréquente de nombreux artistes tout en étant correspondant de l’agence de presse cubaine Prensa latina. Il termine en 1957 un court roman qu’il considère comme une étape majeure de son œuvre : Pas de lettre pour le colonel (El coronel no tiene quien le escriba). Ce n’est qu’en 1999 que la version cinématographique sera réalisée par le directeur mexicain Arturo Ripstein. FILMAR le projette à nouveau deux fois. À partir de 1963, il écrit une vingtaine de scénarios, soit issus de ses romans, soit originaux. Pas tous n’ont été réalisés. Peut-être se rend il compte que le «réalisme magique» est mieux servi par la littérature que par le cinéma. Le succès mondial de Cents ans de solitude le lui confirme. Il continue d’écrire des textes courts, très variés et entre autres en 1972 L’incroyable et triste histoire de la candide Eréndira et de sa grand-mère diabolique à partir duquel il écrit un scénario. Celui-ci est réalisé onze ans plus tard par le directeur brésilien Ruy Guerra.
Le film intitulé simplement Eréndira sera nominé pour la Palme d’or à Cannes. Cette histoire magique, inspirée par la région de son enfance, sera projetée par FILMAR pour la première fois (séance unique).
Le Prix Nobel de littérature en 1982 et tous les honneurs qui l’accompagnent, incitent Gabo à produire de nombreux autres textes sans que ce soit au détriment du cinéma. Encore une fois, il ne choisit pas : littérature, cinéma, politique…
Il travaille un temps pour la télévision espagnole, enseigne à l’École de Cinéma de San Antonio de Los Baños à Cuba. Il s’engage pour promouvoir les divers cinémas latino-américains, en particulier pour le Festival de La Havane.
Une de ses œuvres à forte dimension historique, écrite en 1994, est portée à l’écran en 2009: De l’amour et autres démons. FILMAR projettera à deux reprises cette intéressante évocation de la période coloniale et de l’inquisition dans les Caraïbes dirigée par Hilda Hidalgo du Costa Rica.
L’Université Centrale de Bogota vient de projeter un cycle de films basés sur les œuvres de Gabo intitulé: «Gabo y el cine : amores difíciles». Inutile de traduire! Il s’agit d’une grande passion entre le maître et le cinéma. Ses relations avec les producteurs et les critiques ont été plus difficiles. Les producteurs n’ont jugé ces films qu’en fonction de l’écart entre le bénéfice escompté et celui obtenu ayant investi d’énormes sommes dans la réalisation. Ils auraient perdu 30 millions de dollars avec le dernier : L’amour au temps du choléra après avoir payé Javier Bardem, Shakira et tous les autres !
Gabo a toujours refusé de vendre les droits d’adaptation pour Cent ans de solitude malgré les offres de millions de dollars. Il souhaitait que ses lecteurs imaginent à leur façon le visage du Colonel Buendía. Ses héritiers résisteront-ils ?
Nous sommes aussi ses héritiers. Il nous a déjà comblés par ses écrits, mais aussi par ses films.
Pour beaucoup Gabo représente une sorte de grand- oncle génial, jovial et généreux.
Jean-Pierre Gontard
Del amor y otros demonios
Hilda Hidalgo, Costa Rica, Colombie, Mexique, 2009, fiction, 35mm, 95′, vo st angl
Quelle est la saveur des baisers? demande Sierva María, mystérieuse adolescente à la chevelure fauve, à l’esclave africaine qui l’a élevée, aux temps de l’Inquisition, des colonies et de l’esclavage. Au marché de Cartagena de las Indias, dans cette Co- lombie si près de la mainmise de l’Eglise et si loin de la mère patrie espagnole, la belle enfant est mor- due par un chien enragé. L’évêque la croit possédée par le Démon. Il ordonne à son assistant Cayetano de l’exorciser. Le jeune prêtre ténébreux et la petite de treize ans succomberont alors à une tentation plus forte que la foi aveugle et la raison du plus fort. Lumineux.
D’après le roman éponyme de Gabriel García Márquez.