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La Suisse au chevet de la jeunesse latino-américaine
Près d’un jeune sur huit est au chômage dans les pays de l’Alliance du Pacifique. Nestlé y étend son programme pour l’emploi. Reportage à Lima lors d’un sommet comptant une forte présence helvétique
Ils sont arrivés en chantant, drapés dans les couleurs de leurs pays. Rivalisant de décibels, quelque 700 jeunes originaires du Pérou, de Colombie, du Chili et du Mexique ont fait le déplacement jeudi à Lima pour assister à la première rencontre de la jeunesse de l’Alliance du Pacifique. Le Temps, convié par Nestlé, coorganisateur de l’événement, était aussi dans la capitale péruvienne ou l’on a beaucoup parlé d’égalité des chances, d’entrepreneuriat social et de formation duale.
C’est que la Suisse, État observateur de la communauté économique du Pacifique, était également représentée au forum. La multinationale de l’agroalimentaire, basée à Vevey (VD), a convié Mauro Dell’Ambrogio, Secrétaire d’État à la formation, la recherche et l’innovation à parler du système suisse d’apprentissage.
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20 millions de jeunes sur le carreau
Du côté de l’Amérique latine, on s’intéresse de plus en plus à la formation duale suisse pour résorber le chômage des jeunes, un problème endémique. Les quatre pays de l’Alliance du Pacifique comptent un taux moyen de 13%, soit deux fois plus que celui de leurs aînés. Pire, 20 millions de jeunes n’ont ni études ni emploi en Amérique latine: la génération des ninis, selon les chiffres de la Banque mondiale.
«Nos économies ne disposent pas de systèmes de sécurité sociale développés, dénonce Berenice Alcalde Castro, spécialiste de la jeunesse au gouvernement mexicain. Les jeunes n’ont souvent d’autre choix que de basculer dans le travail informel.» Près de six jeunes sur dix travaillent au noir, sans aucune forme de sécurité sociale, selon les chiffres de l’Organisation internationale du travail.
Générer 31 000 emplois dans les Amériques
«C’est probablement la génération la plus éduquée d’Amérique latine mais c’est aussi celle qui a eu le moins d’opportunités», souligne Laurent Freixe, directeur général de Nestlé dans les Amériques (109 000 employés) qui a pris son poste il y a 18 mois. Pour lui, la croissance des quatre pays du Pacifique (4,45% en 2014) a laissé trop de jeunes en marge du développement, générant un «cercle vicieux» nuisible pour l’ensemble de l’économie.
A l’origine de «l’Alliance pour la jeunesse» – visant à offrir des postes de travail aux Européens – Laurent Freixe étend désormais son initiative de l’autre côté de l’Atlantique. Le programme «Por los jóvenes» (pour les jeunes) ambitionne de créer 2300 opportunités de stages ou d’apprentissages et 2800 postes en premier emploi sur les quatre pays de l’Alliance du Pacifique. Sur tout le continent américain, Nestlé espère atteindre 31 000 jeunes d’ici à 2018.
Des universités qui font faillite
Plusieurs jeunes sont venus présenter leurs expériences entrepreneuriales durant le forum. C’est le cas de Valentina Villagra, 23 ans, originaire d’Iquique, tout au nord du Chili. La faillite de l’université privée qu’elle fréquentait l’a contraint à quitter ses études d’odontologie. Pour ses parents, pas question d’envoyer la petite dernière de la famille étudier dans la capitale, à 1800 kilomètres de la maison. «Le Chili est un pays hypercentralisé, déplore-t-elle. Pour les jeunes, toutes les opportunités professionnelles se trouvent à Santiago (qui regroupe un tiers de la population ndlr.). Mais l’internet m’a ouvert toutes les frontières.»
Grâce à des tutoriels en ligne, Valentina – devenue Balentina sur les réseaux sociaux – apprend à tenir une caméra et à monter ses images. Ses courtes séquences de danse, humour ou bricolage destinées à des filles de 6 à 16 ans sont désormais suivies par un million de personnes. Une activité qui lui permet de vivre confortablement et d’employer une personne pour la représenter.
L’entrepreneuriat face au manque de travail
Formation traditionnelle théorique dépassée, obsolescence des vieux circuits de distribution, disparition de certains métiers: il a beaucoup été question des possibilités offertes par la «quatrième révolution industrielle» et l’entrepreneuriat pour relancer le marché de l’emploi. Pour Carlos Heeren, directeur exécutif de l’institut d’Ingénierie et technologie (UTEC) à Lima, l’économie est devenue entièrement fluide. «Le monde n’a jamais été aussi connecté, le savoir n’a jamais été aussi accessible. C’est à présent aux jeunes d’exploiter ces ressources pour que leurs actions bénéficient à l’ensemble de la société.»
Luis Miguel Starke est plus sceptique. Rencontré en marge du forum, ce trentenaire péruvien rappelle qu’on ne fera pas de tous les ninis des entrepreneurs. Pour lui, les grands discours et les ateliers d’écriture de CV s’adressent surtout à un public de privilégiés. «Beaucoup de jeunes vivent dans des situations d’extrême précarité en Amérique latine. Quand on ne sait pas si l’on pourra manger demain, on ne pense pas à entreprendre.» Pour lui, ces jeunes ont surtout besoin de référents, des personnes de la vie de tous les jours qui puissent leur expliquer ce qu’est leur métier et comment ils peuvent s’assurer un salaire à court terme.
De la guérilla à l’action sociale
Les Colombiens Regis Ortiz Rojas (36 ans) et Daniel Bauticá (31 ans) se sont eux, lancés dans l’entrepreneuriat social. Les deux compères, qui se sont rencontrés dans un vol pour une conférence sur la réhabilitation des groupes armés à Dublin, ont notamment créé l’association Bakongo destinée en particulier aux jeunes victimes de la violence en Colombie. «Nous tentons de transmettre d’autres valeurs que la violence à des populations qui ont vécu au cœur du conflit. Nous voulons en faire des émissaires pour la paix et le développement», explique Daniel dont la tante a été séquestrée par les FARC. Regis, lui, a passé un an et demi dans cette guérilla marxiste avant de se démobiliser en 2006. Ils sont devenus inséparables.